Pionniers des profondeurs.
L'évolution
de la plongée sous-marine a été lente, très
lente: aucun progrès entre l'Antiquité et le dix-huitième
siècle ! Les idées reçues, la peur de la mer et finalement
la technologie ont freiné tout développement. Ce n'est que
depuis 1945 que nous pouvons tous plonger...
Homo aquaticus.
Il
y a des millions d'années, commence avec l'homme préhistorique
la longue histoire de la plongée sous-marine. Au départ simple
ramasseur de coquillages, il est devenu harponneur de poissons, pêcheur
et... apnéiste.
L'antiquité.
Les premières références à une activité sous-marine remontent à l'Antiquité égyptienne: il y a plus de 5000 ans des coquilles d'huîtres perlières servaient de décoration dans les temples de Thèbes.
En Inde, au Sri-Lanka, en Corée, en Grèce, en Crète et sur les pourtours de la mer Rouge et du golfe Persique se pratique depuis des temps immémoriaux la pêche aux perles et aux éponges.
Vers
2500 environ avant Jésus-Christ l'existence de Glaucos, simple apnéiste
crétois, que Poséidon immortalisa en "Dieu des plongeurs",
prouve qu'à l'époque l'apnée "professionnelle"
revêtait une grande importance économique.
Le premier instrument de plongée fabriqué par l'homme fut la propriété d'Alexandre le Grand. Revenant de l'Inde, qu'il avait soumise, il décida de faire une halte sur le bord du golfe Persique, afin de visiter les créatures (vers 325 avant Jésus- Christ).
Il
se fit donc construire un tonneau étanche (ouvert d'un seul côté)
qui, enfoncé bien verticalement dans l'eau emprisonnait une bulle
d'air nécessaire à la survie de son prestigieux hôte.
Ce tonneau est l'ancêtre des cloches à plongeur. Alexandre
Le Grand décrivit à son retour des créatures monstrueuses,
fruit de son imagination et d'une vision altérée par l'opacité
des verres équipant son tonneau.
Les incursions sous-marine intéressèrent fortement les militaires. L'histoire l'Antiquité est ainsi talonnée de perceurs de coques, de coupeurs d'amarres et de pilleur d'épaves.
Ainsi par une incursion sous-marine et lors d'une tempête, Scyllias et sa fille Cyana mirent ainsi en fuite la flotte du roi Xerxès, après avoir coupé toutes les amarres des bateaux qui étaient au mouillage.
Certains apnéistes venaient respirer régulièrement l'air contenu dans des urnes immergées avant la plongée. Par ce moyen, ces "Urinatores" augmentaient la durée de leur immersion.
La renaissance.
Les techniques utilisées n'évoluèrent pas au Moyen-age car le centre du monde se trouvait alors à l'ouest paysan de l'Europe, fort peu intéressé par la mer; les grands esprits qui aurait pu faire avancer les choses tenaient dans le plus profond mépris la technologie (seule les activités contemplatives et la Science comptaient).
La
Renaissance apporte des améliorations. On a l'idée d'augmenter
le temps d'immersion en faisant respirer les plongeurs, depuis la surface
grâce à un tube. Léonard de Vinci décrit un
tuba primitif en 1500, bien trop long cependant pour permettre aux poumons
de fonctionner. Un essai de "scaphandre" apparaît dans
un manuscrit allemand de 1430, sous la forme d'une tenue étanche
en cuir, se prolongeant par un tube fin et souple en communication avec
la surface...
Le XVIIIème siècle.
Très vite on s'aperçut que ces instruments n'étaient utilisables que très près de la surface: d'une part en deçà d'un mètre, la musculature respiratoire n'est plus assez puissante pour aspirer l'air de la surface, et d'autre part le plongeur s'intoxique car il inspire et expire par le même petit tube (qui se charge en gaz carbonique nocif).
Borelli invente donc en 1680, sur le papier en tout cas, une outre gonflée d'air que le travailleur sous-marin emporte sur son dos, et à partir de laquelle il respire grâce à un tuyau. Grande innovation, l'expiration se fait dans un autre tube où l'air s'épure par condensation avant de regagner l'outre.
Fréminet améliore le système en fabricant vers 1770 un casque de cuivre relié à une pompe; son énergie est fournie par un gigantesque ressort d'horlogerie qu'il faut remonter avant de plonger.
Ce système lui permettra de remonter des ancres dans les ports du Havre et de Brest. Le principe du scaphandre est né (et son premier inconvénient: la tête du plongeur n'étant pas soumise à la même pression que le reste du corps, un phénomène d'aspiration, très douloureux, se produit vers la tête).
Entre-temps, le tonneau d'Alexandre le Grand est réapparu sans grand changement (si ce n'est son appellation).
La
première "cloche à plongeur" est sans doute mise
à l'eau par Sturmius, en Allemagne, vers 1500, mais ne protège
que la partie supérieure du corps du plongeur.
Presque deux siècles plus tard, en 1690, Edmund Halley (le découvreur de la comète) fabrique une cloche d'un volume beaucoup plus important, dans laquelle deux hommes prennent place pour travailler sur le fond.
Afin d'éviter l'asphyxie, ils peuvent régénérer l'air ou moyen de tonneaux étanches dont ils vident le contenu dans la cloche. Autre innovation, ils ont la possibilité chacun leur tour de sortir de l'appareil et de profiter de l'air de la cloche grâce à un casque alimenté par un tuyau. Comme ils doivent souffrir, car leurs poumons, sont soumis à rude épreuve! Denis Papin propose donc d'injecter de l'air sous pression dans les cloches, en continu depuis la surface. Cependant, la technologie nécessaire n'existait pas à l'époque pour ce faire. Il fallut attendre un siècle pour que John Smeaton mette en pratique cette idée. Nous sommes alors en 1790.
Au XIXème siècle, la technologie des métaux permet de construire des pompes à air performante et l'on sait maintenant fixer le gaz carbonique sur de la potasse.
Siebe
en profite et réduit en 1819 la cloche à la dimension d'un
casque de cuivre ouvert, alimenté en air sous pression depuis la
surface. Mais le plongeur doit rester parfaitement vertical pour que l'eau
n'envahisse pas celui-ci.
Ce défaut est corrigé vingt ans plus tard en fixant le casque à une combinaison étanche: le scaphandrier peut prendre dès lors toutes les positions. Siebe assure son succès, et sa fortune. Cabirol, quant à lui, vulgarise l'emploi de cet appareil. Les scaphandres lourds actuels n'ont en fait pas beaucoup changé depuis.
Quatre-vingt ans de perdu.
Le scaphandre lourd est inventé. Le scaphandre autonome, celui que vous allez découvrir, est apparu en... 1865!
Rouquayrol et Denayrouze déposent cette année-là le brevet d'une invention, l'aérophore, permettant à l'homme d'intervenir dans des "atmosphères délétères" et accessoirement dans l'eau.
L'équipement se présente sous la forme d'un réservoir de huit litres rempli d'air à 40 bars, alimenté depuis la surface, dans lequel le plongeur respire grâce à un ... détendeur qui lui fournit l'air à la pression ambiante et sur demande. Le volume du réservoir permettait en outre de se passer pendant un certain temps de l'alimentation, autorisant ainsi le plongeur à se déplacer librement sur le fond de l'eau. En clair, tout ce que Cousteau redécouvrira 80 ans plus tard!
C'est ce scaphandre qu'utilisent le Capitaine Némo et ses hommes dans Vingt Mille Lieues sous les mers. Pourtant, là encore, l'époque n'est pas préparée pour accueillir cette invention: l'aérophore est léger, donc sans intérêt pour des plongeurs professionnels habitués aux scaphandres lourds, protecteurs dans une mer forcément agressive. L'idée d'aller dans l'eau pour s'y promener était d'autre part inconcevable, à une époque où seuls comptent l'élargissement des frontières terrestres de l'empire et l'industrialisation. Enfin, le détendeur de Rouquayrol et Denayrouze restait cher et difficile à fabriquer et la capacité du réservoir limitée par la faible pression de l'air.
Vers 1880 toutes les conditions technologiques sont réunies pour pallier ces problèmes. En pure perte car l'aérophore tombait dans l'oubli.
En 1933 Le Prieur brevette un semblant de scaphandre bien moins perfectionné, curieusement adopté par la Marine et les Pompiers de Paris. Un certain Cousteau pratique à cette époque assidûment la chasse sous-marine dans les Calanques marseillaises. Ayant essayé le scaphandre Le Prieur et les systèmes à circuit fermé qui ne le convainquent pas, il imagine un véritable scaphandre autonome, seule gage de liberté pour l'homme dans l'eau.
En 1943 il rencontre à Paris un ingénieur, Gagnan, de la société l'Air Liquide, spécialisée dans les gaz industriels. Celui-ci vient de mettre au point un détendeur permettant d'alimenter les moteurs de camion en gaz de ville (à cause de la pénurie d'essence imposée par les allemands). A la demande de Cousteau, il adapte son invention à une bouteille d'air et aux poumons humains. Le détendeur (copie presque conforme de l'aérophore) est né, et avec lui la plongée-loisir.
Faites le compte: 80 années de perdues !
Le scaphandre Cousteau-Gagnan n'est en fait que la redécouverte, involontaire, de l'invention de Rouquayrol et Denayrouze.
Simplement, après la guerre, la société était prête à accueillir l'invention: la biologie marine était connue depuis une trentaine d'années du grand public qui avait envie d'aller voir dans l'eau, les loisirs n'étant plus teintés de fainéantise et les détendeurs, depuis l'apparition des bouteilles de butane et de propane vers 1925, ne coûtaient plus très chers. Autrement dit, il y avait un véritable marché naissant qui n'existait pas en 1865. La mer n'est plus seulement un lieu de travail où il faut forcément marcher sur le fond grâce à des semelles de plomb: palmes et tuba ne sont inventés que dans les années trente!
De Rouquayrol à Cousteau, la palanquée de précurseurs équipés de scaphandres Rouquayrol-Denayrouze ouvre la voie aux plongeurs d'aujoud'hui.
(Le Fond de la mer, Hachette, 1888).
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